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Portée et effets induits de l’inefficacité d’un cautionnement manifestement disproportionné

L’importance de l’arrêt rendu par la chambre mixte de la Cour de cassation ne fait aucun doute, ne serait-ce qu’au regard de l’étendue des mesures de publication prévue pour cette décision, classée P-R-R-I, mais aussi du fait que la solution procède d’une substitution de motifs (Cass. ch. mixte, 27 févr. 2015, n° 13-13.709 : JurisData n° 2015-003619).

En l’occurrence, un gérant s’était porté garant, par la souscription d’un cautionnement, de divers concours consentis à sa société. Parallèlement, une autre caution s’était engagée à ses côtés, en garantie des mêmes concours. Or, cette dernière a pu bénéficier d’une décharge de son engagement au bénéfice des dispositions de l’article L. 341-4 du Code de la consommation. En effet, son cautionnement a été définitivement jugé inefficace en raison de son caractère manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Actionné en paiement, le gérant caution entend contester la demande de la banque sur le fondement de l’article 2314 du Code civil, en d’autres termes, sur la base du bénéfice dit de subrogation (ou de cession d’actions). Le gérant soutient qu’il ne lui était plus loisible, du fait du créancier, d’exercer un recours subrogatoire contre son cofidéjusseur.

C’est l’articulation entre ces deux mécanismes que l’arrêt rapporté opère.

1- Divers mécanismes ouvrent à la caution la possibilité d’être déchargée de son obligation. L’un d’entre eux repose sur le bénéfice dit de disproportion prévu par l’article L. 341-4 du Code de la consommation issu de la loi Dutreil du 1er août 2003. Par application de ce texte, toute caution personne physique, profane ou avertie, peut échapper à son engagement si, lors de la souscription, le cautionnement était manifestement disproportionné à ses biens et revenus. Ce texte (à la différence de son précurseur, l›article L. 313-10 du Code de la consommation issu de la loi Neiertz du 31 décembre 1989), connaît un contentieux relativement fourni en raison de son champ d›application plus large.

C’est la parade par excellence des dirigeants, souvent contraints, de se porter garant de la société qu’ils dirigent.  

En substance, ce texte prévoit l’inefficacité du cautionnement si :

– l’engagement était manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution lors de la souscription ;

 – la disproportion perdure lors de l›appel du garant (V. un rare exemple de retour à meilleure fortune : CA Grenoble, 1re civ., 4 juin 2012, n° 10/01742 JurisData n° 2012-013098 ; JCP G 2012, chron. 1291, n° 7, obs. Simler).

La sanction ainsi instaurée n’est ni une nullité ni une résolution, mais une sanction plus originale que l’on pourrait assimiler à une déchéance. Ce mécanisme est exclusif de la nécessité de caractériser une faute du créancier. En effet, bien que disproportionné au moment de la souscription, le cautionnement conservera son efficacité en cas de retour à meilleure fortune au moment de la mise en œuvre de la garantie.

Inversement, en l’absence de disproportion à la souscription, le cautionnement demeurera efficace alors même qu’il serait disproportionné au moment de sa mise en œuvre. L’absence d’incidence de la notion de faute ressort également de la sanction elle-même, laquelle présente un caractère binaire. Le cautionnement disproportionné sera inefficace en totalité, sans qu’il ne soit nécessaire de prendre la mesure du préjudice réel de la caution.

C’est précisément de ce mécanisme que s’est prévalu, avec succès, l’un des cofidéjusseurs engagé aux côtés du gérant. Sur cette base, le gérant caution entend faire valoir que la disproportion manifeste privant d’efficacité l’engagement de son cofidéjusseur, lui-même s’en trouve lésé dans la mesure où il perd ainsi un recours subrogatoire. 

2- Son argumentation n’a cependant pas trouvé écho devant la chambre mixte par un rejet issu d’un attendu particulièrement net : « Mais attendu que la sanction prévue par l’ article L. 341-4 du Code de la consommation prive le contrat de cautionnement d’effet à l’égard tant du créancier que des cofidéjusseurs ; qu’il s’en déduit que le cofidéjusseur, qui est recherché par le créancier et qui n’est pas fondé, à défaut de transmission d’un droit dont il aurait été privé, à revendiquer le bénéfice de l’ article 2314 du Code civil , ne peut ultérieurement agir, sur le fondement de l’article 2310 du même code, contre la caution qui a été déchargée en raison de la disproportion manifeste de son engagement ; »  

La solution du litige imposait que soit répondu à une double problématique nécessitant que soit articulé les dispositions des articles L. 341-4 du Code de la consommation , avec le droit commun du cautionnement, à savoir les article 2310 et 2314 du Code civil.

Il fallait donc tout d’abord délimiter la portée de la sanction d’un engagement de caution manifestement disproportionné. En d’autres termes, la question était de savoir si la caution déchargée envers le créancier, reste susceptible d’être poursuivie par un autre garant engagé à ses côtés au titre du recours subrogatoire ouvert entre cofidéjusseurs par l’article 2310 du Code civil.

Non répond la Cour, ce qui rejoint l’avis de certains auteurs estimant que le cautionnement manifestement disproportionné est privé d’effet à l’égard de tous. La solution contraire aurait notablement privée d’une bonne partie de son efficacité le mécanisme de protection instauré par l’article L. 341-4 du Code de la consommation.

De cette prémisse, la Cour devait déterminer ensuite, si l’impossibilité dans laquelle se trouvait la caution d’exercer un recours contre son cofidéjusseur, était susceptible de justifier sa propre décharge, à tout le moins à la mesure des droits perdus. Rappelons qu’en vertu de l’article 2314 du Code civil la caution est déchargée lorsque le créancier a perdu ou laissé perdre un droit préférentiel qui aurait pu procurer, par voie de subrogation, un avantage particulier de nature à accroître les chances de remboursement de la caution. Une jurisprudence abondante confirme que la perte d›une autre caution entre bien dans les prévisions de ce texte. 

Mais la réponse est une nouvelle foi négative. En effet, pour la Cour de cassation, le cofidéjusseur ne s’est trouvé privé d’aucun droit. L’analyse se fonde sur la portée du bénéfice de disproportion. En effet, la disproportion est caractérisée au moment même de la souscription de l’engagement de caution (de manière certes conditionnelle pourrait-on dire, puisque l’inefficacité perdure pour autant que la caution ne soit pas revenue à meilleure fortune). Partant, l’engagement disproportionné est privé d’effet, à l’égard de tous et ce dès sa souscription. Le recours subrogatoire envers le cofidéjusseur n’avait donc jamais vocation à se transmettre à la caution gérante. La solution rejoint l’idée développée ci-dessus, selon laquelle la sanction de l’article L. 341-4 du Code de la consommation est détachée de la notion de faute du créancier.

La question que l’on peut se poser est de savoir si l’insertion d’une clause faisant de l’existence, de l’efficacité et du maintien d’autres engagements, serait susceptible de permettre l’invocation de l’article 2314 du Code civil. En effet, les moyens annexés à l’arrêt laissent penser qu’une telle stipulation n’avait pas été prévue.

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